Les contrats de licence et la Sécurité Informatique

Le but de ce papier est de démontrer en quoi les contrats de licence sur les logiciels informatiques influent sur la sécurité globale des systèmes. Aucun éditeur n'est particulièrement visé mais les logiciels les plus diffusés sont certainement les plus concernés par les remarques qui suivent.
Dans toute la suite le terme logiciel englobe les applications de toutes natures ainsi que les systèmes d'exploitation.

I - Limitations de garantie

Avez-vous déjà lu en entier un contrat de licence portant sur un logiciel ? Plus particulièrement les sections consacrées aux garanties ? Ces sections sont selon moi édifiantes car sans être juriste on y comprend aisément que les éditeurs limitent soigneusement leurs responsabilités. En effet, ils stipulent explicitement qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables des dommages que pourrait causer l'utilisation de leurs produits.
De telles limitations de garanties peuvent-elles encore être considérées comme normales voire même morales à l'heure où de plus en plus d'éléments de notre vie sont contrôlés par des logiciels ? Des clauses du même genre feraient sourire ou frémir dans l'industrie automobile par exemple car si le système de freinage ne remplissait pas sa fonction une fois sur trois, il serait facile d'imaginer les conséquences pour le véhicule, son conducteur et aussi pour son constructeur.

II - Responsabilité et Qualité

L'une des conséquences majeures des limitations de responsabilité est selon moi une absence totale d'engagement sur la qualité des produits. En limitant sa responsabilité vis à vis du consommateur (utilisateur du logiciel) l'éditeur peut se contenter de standards de qualité très faibles puisque les défauts ou défaillances des produits ne peuvent pas lui être reprochés. En effet, l'objectif n'est plus alors de produire la meilleure qualité logicielle possible mais plutôt d'assurer le minimum ; ce minimum étant le plus bas niveau de qualité acceptable par le marché. Ainsi, le consommateur choisira non plus le meilleur produit mais le moins mauvais.
Dans le monde du logiciel on est très loin des plans d'assurance qualité et des processus de certification tellement répandus dans l'industrie. L'absence d'une démarche de qualité globale et la réduction des cycles de commercialisation (time to market) conduisent à une réduction sensible des campagnes de tests fonctionnels et à une absence quasi totale de tests de sécurité*.
Dès lors, on ne peut s'attendre qu'à des produits peu fiables et dont la sécurité n'a pas été évaluée.

III - Qualité Fiabilité et Disponibilité

La richesse fonctionnelle et la complexité grandissante des logiciels rendent leur fiabilisation de plus en plus difficile. La fiabilité fait partie des propriétés que toute démarche qualité vise à améliorer. C'est pourquoi un engagement fort des éditeurs me semble nécessaire afin de mettre en œuvre la rigueur et les processus qui permettront d'améliorer la fiabilité des systèmes.
La disponibilité des systèmes repose pour beaucoup sur la fiabilité des logiciels qui y sont installés ; on peut comprendre aisément en quoi la dégradation de la qualité de ces derniers peut poser des problèmes de disponibilité. Améliorer la fiabilité des logiciels revient à œuvrer pour rendre les systèmes informatiques globalement plus disponibles.
Le problème se pose d'une façon encore plus cruciale en ce qui concerne les systèmes d'exploitation. En effet, il n'est pas possible d'espérer construire un ensemble fiable si le système d'exploitation sur lequel il repose n'offre aucune garantie de fiabilité.

IV - Interopérabilité

Actuellement, à ma connaissance aucun éditeur n'accepte dans ses contrats de licence de responsabilités quant à l'interopérabilité de ses produits avec ceux d'autres éditeurs. Pourtant, rares sont les logiciels pouvant remplir l'ensemble de leurs tâches de façon complètement indépendante sans s'appuyer sur les fonctionnalités d'autres briques logicielles. D'une façon générale, les systèmes informatiques sont des ensembles complexes formés de nombreux éléments (logiciels pour la plupart) interagissant de manière continue. Les éditeurs des différents éléments logiciels ne garantissent donc en aucune manière que leurs produits ont la capacité de s'intégrer sans problèmes au sein des systèmes existants ou de remplir une quelconque fonction dans un environnement réel.
Il est vrai que la diversité des environnements et la complexité grandissante des systèmes déjà en place rendent des tests d'intégration et d'interopérabilité exhaustifs difficilement envisageable mais l'absence d'obligations fourni aux éditeurs un parapluie au dessous duquel il est très aisé de s'abriter.

V - Confiance

Dès lors que l'on permet à un logiciel de s'exécuter sur une machine il faut savoir qu'on lui accorde le contrôle total de celle ci. Cela veut dire que l'on fait confiance au logiciel pour qu'il exécute la tâche pour laquelle il a été acheté et pas autre chose. On lui fait aussi confiance pour exécuter sa tâche sans mettre en danger le fonctionnement des autres programmes présents sur la machine. Les contrats de licence tels qu'ils sont formulés actuellement font de cette confiance un risque réel. L'utilisateur prend le risque de compromettre sa machine en en confiant le contrôle à un programme dont les auteurs ne garantissent pas le bon comportement. Malheureusement la seule référence de l'utilisateur est un discours commercial car il n'a ni la possibilité (sauf pour les logiciels open source) ni la capacité de vérifier par lui même si sa confiance est bien placée.
Une autre disposition intéressante des contrats de licence concerne le reverse engineering (ingénierie à rebours ;-)). Cette pratique qui pourrait sauver bien des situations est très souvent complètement proscrite par les éditeurs.

V - Conclusion

Les termes des contrats de licence permettent aux éditeurs de produire des logiciels sans réel engagement de qualité, engagement pourtant nécessaire à la fourniture de produits fiables. La concurrence et le marché sont les seuls éléments qui poussent encore les éditeurs à améliorer leurs produits. Pourtant au delà de l'assurance qualité qui déjà fait défaut, un engagement sur la sécurité et une responsabilisation des éditeurs seraient les éléments clés qui pourraient rendre les logiciels plus surs.

 

Luc DELPHA

dernière modification 14/02/2001

* J'aborderai dans un autre article la difficulté et les spécificités des tests de sécurité.